vendredi 20 novembre 2009

Mali: Bamako


Arrivée à Bamako à 21h30 en pleine nuit. Les formalités d'usage (récupérer les sacs, passage de contrôle) remplies, on part en quête d'un bureau de change. Un lascar nous prend en charge prestement, et, dans la minute, une escouade de flics à la mine pas commode lui intime l'ordre d'aller prendre l'air.
Ils nous conduisent ensuite, fort courtoisement, à procéder au change dans une cabane en tôle. Les flics postés en faction à la porte, nous voila dans l'estanco face à deux loustics avec une liasse de billets à la main. Le deal est simple: le taux c'est 650 CFA l'euro, on change autant qu'on veut. Certes. On est guère en position de discuter. La seule option qui nous reste est de limiter la casse. On sort donc 200 euros et on obtient un paquet de 2cm d'épais de billets CFA. On argumente sur le fait qu'ensuite on a prévu de retirer avec la Visa. Il s'avèrera ultérieurement que ce taux est tout à fait correct.... comme quoi il ne faut pas toujours se fier aux impressions.
A peine sortis du "point de change", un énergique gugusse pose les bagages dans son coffre; on saute sur la banquette, et hop direction le centre ville à 30km. En route on explique qu'on va coucher à la Mission Catholique (recommandée par une amie pour, dans le désordre: la position centrale, son prix modique, sa sécurité et sa propreté.). Va pour la Mission Catholique.
Arrivés à bon port, on discute du prix. Le cerbère demande 30 euros. Ah mon gars, ça va pas être possible: primo j'ai pas d'euros, deuxio c'est pas le tarif.
On avait été briefés avant le départ par Anny, voyageuse photographe, qui avait indiqué: le trajet depuis l'aéroport c'est 7000 CFA (astuce technique 100 CFA valent un de nos francs d'avant 2001; pour nous c'est du bonheur, on connait bien la valeur des choses en francs). Donc, parenthèse fermée, ça vaut 70 CFA, soit 10 euros. De 10 à 30, y'a la marge du palabre. Vas y qu'on palabre... Nos arguments: on connait le tarif des taxis OFFICIELS (accents toniques sur le O le FI et le CIEL). Arguments du chauffeur: c'est le tarif de nuit. 15' plus tard on tergiverse à 10 000 CFA (15 euros) et ca tombe bien car au change je n'ai eu que des billets de 5000 !
L'affaire réglée, on carillonne à la Mission. Une sœur vient ouvrir et nous conduit à la Sœur Responsable (SR pour la suite). Palabres: "bienvenue chez nous, soyez comme chez vous, remplissez la fiche d'inscription". Pendant que je remplis, elle poursuit: "c'est qu'on a plus de chambre simple, il ne reste plus que le dortoir à 6. Mais comme il n'y a personne d'autre et qu'il est tard, vous y serez seuls. Mais dès demain vous coucherez en chambre seule. Le tarif c'est 4000 en dortoir et 5000 en chambre, par personne". Bien, ça y ira (déjà je mesure que le tarif est 20% plus cher que celui indiqué par Anny. Par la suite on va constater la même inflation pour tout, sauf la bière (tant mieux) et l'eau minérale (tant mieux aussi, vu la consommation quotidienne pour s'hydrater)).
La SR lisant la fiche: "oh Mr F. c'est un joli nom et Bernard comme c'est bien ce prénom, vous avez de la chance". Et la Petite Sœur de surenchérir: "le Grand Bernard, soyez le bienvenu".
Désormais chaque fois que je la croise j'aurais droit à un tonitruant "Mr F ça va bien" ! agrémenté de "vous avez de beaux cheveux" ou "vous avez un beau sourire" et autres compliments du même acabit. Elle ne manque pas non plus de terminer ses propos par "faut bien boire une petite bière, ça fait le plus grand bien". Non seulement la nonette me drague, mai en plus elle a un penchant pour la bière. Si ça continue, elle va pêcher grave la nonette !
Première nuit, KO de fatigue, on dort sans demander notre reste.


Au matin, on avise une épicerie en face et on se ravitaille pour le petit dej (3000 CFA pour 2 yaourts, 2 jus d'orange, 2 baguettes et 1 pot de confiture).
Une fois sustentés, on part à la découverte de Bamako. On n'a pas fait 100m qu'un loustic nous alpague: il connait bien la ville, il nous aime bien, il ne veut pas d'argent, juste discuter. On lui explique très nettement qu'on connait la musique, qu'on a pas besoin de ses services, qu'on ne donnera pas d'argent.
- Quoi? de l'argent? pas question d'argent avec des amis !
On insiste, on ré-insiste, on passera la journée à insister.
Dulaye nous colle au fion comme la plume au cul de l'oiseau.
De guerre lasse on se résigne à subir la compagnie de Dulaye non sans répéter régulièrement "ne perd pas ton temps, on ne paiera rien".


500m plus loin, on tombe sur le marché. Le marché à Bamako c'est la foire à tout. Une foule innombrable slalomant entre les étals épars à même le sol, sur des charrettes à bras ou des présentoirs, de part et d'autres de ruelles grouillantes de voitures et motos pétaradantes dans un vacarme et une fumée de gaz d'échappement plus dense que le fog londonien.
On a tenu une heure et lorsque Sylvie a senti une main alerte dézipper son sac, là ce fut sauve qui peut le retour dans les murs protecteurs de la Mission.
Ouahou ! le choc. Ca on ne s'y attendait pas: la foule, le bruit, la pollution, les bolides dans les rues défoncées, on n'avait jamais vu pareille affaire.
Un petit break salvateur plus tard, armés pour faire face à cette cohue, délestés de tout bagage, et déterminés, on replonge dans le tohu-bohu.
Qui on trouve à la porte? notre indécollable Dulaye !




A côté de l'épicerie, face à la Mission, il y a une petit restau. Anny nous a confié un paquet à remettre à un certain Amadou. J'avise le mec installé là et lui demande s'il est Amadou. "Oui oui c'est moi".
Je lui tend le paquet , lui explique que c'est de la part d'Anny. Il a toute la tête de celui qui ne sait rien de l'affaire. Là dessus surgit un malabar qui prétend être aussi Amadou. Le premier s'esquive et on palabre avec le deuxième. Il reconnait assez vite ne pas être Amadou , mais bien le connaître. Un attroupement se forme, et chacun y va de son commentaire sur Amadou. "Oui oui, le photographe, bien sûr celui qu'on appelle Petit Dogon; il n'y a pas de souci on lui remettra le paquet". Bon, ok, ils ont l'air de le connaître, je leur laisse le paquet.













On repart donc cette fois vers le fleuve pour réserver notre bus de demain, toujours accompagné de Dulaye, toujours insensible à nos exhortations à nous lâcher la grappe.
On longe le Niger, on passe devant les complexes hôteliers financés par Khadafi, on traverse un grand pont de 500m au  moins (le fleuve prend ses aises) et on crapahute par 36° a la recherche de la station de bus. Au bout de 2km on avise un estaminet et on se rafraichit le gosier. Bière pour moi et Dulaye, coca pour madame. L'estaminet, c'est une cabane en bois avec deux tables basses entourées de canapés avachis. Sur l'un, un blanc anglophone avec son "accompagnatrice" qui, tout en étant bien roulée, affiche l'air de la tapineuse qui attend que Mr ait finit d'écluser ses bières (7 à notre départ), conclue son affaire et surtout payé la prestation.
Derrière, 2 latinos à la mine de malfrats. En outre il y a les 2 tenanciers imperturbables et un zigomar local bien éméché éclusant whisky sur whisky. On se refait une santé dans ce troquet mal famé et on repart.
Echaudés pas les km déjà faits, on avise un taxi collectif et en avant. Bien nous en a pris, il y avait bien encore 5km à faire. Au guichet, on se fait dire qu'on ne réserve pas, faut être là à l'heure et on partira s'il y a de la place.
Retour au centre ville en taxi collectif: c'est une camionnette bâchée, avec des bancs; elle démarre quand elle est pleine et te laisse où tu veux sur son trajet. Le prix, c'est grosso modo 150 CFA par personne pour 6 à 7 km. On se fait déposer en plein marché et on arpente les étals: ruelles spécialisées en tissus imprimés ou en vêtements bariolés (les bazins), ruelles à nourritures, ruelles à forgerons, ruelles a bijoutiers, à sculpteurs. Tous ces artisans exerçant leur art à coup de marteau, lime à polir ou ciseau a bois, à même la rue, dans un amphigouri de matériaux propre à l'exercice de leurs métiers.
Dans une halle à étage sont alignés une ribambelle de bonhommes usinant à la chaîne sur des machines à coudre dignes de nos grands mères. Ca et là une échoppe fait rôtir des viandes improbables et cuire du riz par marmites complètes.
Le tac-a-tic des machines, les invectives des uns et des autres, les radios à tue tête, les odeurs de tissus et nourriture, la foule se pressant dans un étroit goulet servant de circulation, on est dans un autre monde, bien loin de nos centres commerciaux aseptisés.
Et dans ce capharnaüm, on va de merveille en merveille, bousculés, pressés, alpagués par les vendeurs.

























































La palme revenant à celui qui m'a coiffé d'office d'un chapeau peul de taille 40 (ma caboche affiche un bon 61) et m'a déclaré solennel: « il te va parfaitement, c'est 15 000 CFA, à discuter, tu es obligé de le prendre tellement tu as l'air d'un africain avec ».
Je laisse le chapeau, je resterai avec ma tronche de toubab. Mais pour rien au monde je me déguise avec un pareil accoutrement, qui plus est pas à ma taille.
Sortis de là, on tombe sur la ruelle aux fétiches et plantes médicinales. Des empilements de peaux tannées, de momies, de cranes et poudres en pot se succèdent à des herbes séchées aux propriétés éminemment curatives, puisque de l'avis de tous ceux consultés sur place, elles guérissent tout définitivement pour peu qu'on prenne la bonne dose, celle ci étant par essence mystérieuse et donc soumise aux aléas du hasard.
Ignorant les coutumes, je te photographie à tour de bras les fétiches , amulettes et gris-gris. Dulaye, qui nous a pas lâché d'un mm, nous avise du tabou de l'affaire, trop tard, c'est dans la boite à image; prudent, je rengaine l'appareil photo sans déception car on arrive à la fin du marché.
















On se dirige alors vers la montagne surplombant Bamako. Une falaise rouge, verticale, de 200m de haut. On entreprend son escalade par un "sentier" d'où dévalent des Maliens caracolant, tels des bouquetins, de pierre en pierre, chargés de cabas et bagages.
Ce sont les habitants d'en haut qui vont au ravitaillement d'en bas. Le décalage est saisissant entre ces alertes elfes et les gros poussahs suants et suffocants que nous sommes. A mi-pente, le cœur tape a 200, l'air manque, la tête tourne et l'estomac se retourne: on frise le malaise. On s'allonge illico à même le rocher, le temps de reprendre nos esprits. Et pendant ce temps, la noria incessante poursuit son va et vient. Une bonne 1/2 heure plus tard, nous poursuivons jusqu'au sommet et découvrons tout Bamako à nos pieds: le Niger scintillant au loin , la mosquée à mi-chemin et le terrain de foot en contre bas. Le panorama est magnifique. Redescente, non sans nous gameller à 2 ou 3 reprises, ce qui inquiète chaque fois les villageois bondissant de roc en roc.












































Retour au bercail, douche salvatrice et...... black out total, panne générale d'électricité.
Dulaye attend encore et demande qu'on lui donne quelque chose. Je lui rappelle qu'on l'avait prévenu, il n'a pas voulu nous croire, tant pis. Il paraît que je suis dur.

On va manger à l'estaminet du soi-disant Amadou à la lueur des bougies: assiette de couscous aux légumes, 2 bières , 2 fanta pour madame et 4000 sur la note, dont la moitié pour les boissons.
On partage la table avec Pascal, malencontreusement affublé d'une tourista et qui donc se nourrit d'imodium , de riz et de coca; ce qui n'enlève rien à sa clairvoyance puisque portant Florent Pagny et JCVD aux pinacles de la philosophie. Ca fait du bien de rencontrer des types avec cet humour. Ca change de la grosse fraichement arrivée à la mission et qui clame, péremptoire, être en mission de paix à travers le Burkina et le Mali Réunis et entend restaurer la réputation des Pères Blancs, sans qui, nul ne devrait en douter, l'Afrique serait un cloaque de peaux de boudins. Charmante. Elle a un cancer, pourvu qu'il se hâte.
Au matin, réveil à 7 heures, petit-dej engloutit fissa. C'est pas tout, il faut être à 9h au bus.
En sortant, on se fait alpaguer par le tenancier du restau.
Ah, mais c'est qu'on va pas partir sans qu'Amadou ne nous ait salué. Emmener un paquet de si loin, on doit attendre que son destinataire vienne faire ses remerciements.
- Mais c'est qu'on a un bus....
- Quoi, un bus? c'est quoi un bus? ça peut attendre un bus, et puis il y en a toutes les heures des bus !
Vu comme ça.... on n'a pas le choix, on s'attable et on palabre, attendant la venue d'Amadou.
Le tenancier est extrêmement sympathique et fort lucide. Alors que nous récriminions sur Sa Majesté Nicolas I, il nous rétorque: "He, mais c'est quand même les français qui l'ont élu !"
Et nous en chœur: Pas par nous !
Ca finit morts de rires juste quand Amadou arrive, plus connu sous le surnom de Petit Dogon.
Il nous narre son aventure: tout petit il avait envie de devenir photographe. Il s'est donc fait un press-book, va aux expos locales et côtoie quelques grands noms du métier. Anny nous avait dit tout le bien qu'elle pensait du jeune homme. Il est vrai qu'il paraît plein de volonté et d'envie. Malheureusement, hier, à l'Expo Internationale on lui a chourré son appareil photo. Au vu de ses ressources, c'est pas avant que les poules aient des dents qu'il pourra le remplacer. Il dit ça comme ça, sans plus manifester d'émotion apparente, alors même que la photo est toute sa vie.
Il est de cette sorte de fataliste qui prend les choses comme elles viennent, espérant que demain ou son lendemain sera meilleurs.
"Bon écoute Amadou, j'ai un Pentax modèle pro qui dort dans un carton avec tous ses accessoires. Je te les fais parvenir au printemps lorsque Anny reviendra, parole de Grand Bernard."
Amadou me remercie, sans plus; voila, le destin vient de changer, c'est naturel. Il est content mais son émotion ne se voit pas. Cela me fait penser au tenancier du restau qui, la veille, n'a pas fait cas du paquet remis à son entremise; eh bien c'est à 4h du matin qu'il a réveillé Amadou au téléphone pour lui dire d'être là fissa avant que les toubabs repartent. Et tandis que l'autre accourait, lui nous retenait ici car ce serait la fin du monde si nous ne pouvions serrer la main d'Amadou.
Voila une facette de la mentalité Malienne qui donne bien à réfléchir.
Après tous ces palabres, le barman appelle un de ses potes pour nous convoyer au bus (2000 CFA).
Amadou met un point d'honneur à nous accompagner.
A la station, on achète les 2 dernières places du prochain bus et on attend.
La cour est jonchée de tas hétéroclites de bagages que l'on juche sur le toit. Cela comprend, entre autre, un mouton vivant, des sacs de ciment, des sacs d'engrais, des jerrycans vides, des matelas.... un tas de 3 ms de haut ficelé à la va comme je peux.
Pour monter dans le bus, on est invité par le Chef du bus en boubou bleu ciel impeccable qui appelle les voyageurs par ordre d'inscription. Ca donne: "Aissa, N'Daye, Abddallah Sisséko, Fatoumata Sylvie et J'ai-pas-compris-quoi Bernard....".
"Mais c'est nous !"
On monte. Comme nous sommes les derniers appelés, les prédécesseurs ont pris les meilleures places; nous, il nous reste, après avoir enjambé une palanquée de bidons et de sacs gros comme des barriques, les 2 plus pourris.
Le revêtement est râpé jusqu'à la trame et laisse la mousse à l'air, cuite par les ans, et se désagrégeant au moindre touché en un aérosol de particules noirâtres. Rien qu'en posant nos séants on a dégagé 1m3 de suie.
Et ce fut ainsi au moindre mouvement pendant tout le trajet....
Le bus s'ébranle, à l'intérieur on doit friser les 45°. En 10mn on est trempés de sueur dégoulinante et on tête déjà nos gourdes avec avidité.
Cahin-caha le véhicule poursuit sa route, on est dans les faubourgs, il roule donc lentement. Mais là ça fait bien une heure qu'on est en rase campagne, il roule toujours aussi lentement. Deux heures plus tard, toujours pareil. Mmouais, ben on est pas arrivés.
A vue de nez, j'estime la vitesse a 35km/h. C'était bien vu, puisque pour faire 230km, on a mis 7h30, compris une heure d'arrêt forcé. L'arrêt s'est produit au 1/3 du voyage, dans un bled perdu dans la savane, pour cause de panne moteur. On a eu de la chance que cela se passe non seulement dans un village, mais juste à l'ombre de la mosquée.
Avantages: on a pu se ravitailler en eau et découvrir la vie villageoise: quartiers de viande débités ça et là, et rôtis sur des fours à bois, échoppes brinquebalantes vendant a peu près tout dans un fouillis indescriptible, vente d'essence en bouteilles de 1l etc, etc...
Et de plus on est à l'ombre de la mosquée pour attendre.
Inconvénients: pendant que le mécano démontait, rafistolait et remontait la partie défaillante du moteur, on a pu voir l'état des pneus usés jusqu'à la trame, le moteur qui pisse l'huile à tour de bras et surtout , surtout, le muezzin qui s'époumone à hurler "Allah o Akbar" suivi d'une litanie de psaumes puis d'un prêche véhément, le haut parleur à même pas 10m du bus. Une heure à ce régime, j'étais à 2 microns de l'islamophobie féroce.
On repart, mais hélas pas plus vite.




A chaque côte (un à 2 pour cent, jamais plus), passage en première et vitesse à 15km/h. Effet secondaire: ventilation inefficace et température à 45°.
Après la panne, mais cela a-t-il un lien? une passagère se met toutes les 45 mn en arc de cercle, hurlant en bambara, se laissant tomber au sol avec forces démonstrations.
Ses voisines s'affairent à la contenir, la rassurer et la guérir à coup de fanta: une lampée dans le gosier, une sur le crane. Les plus éloignées commentant avec des avis tonitruants ce qu'il faut faire et ne pas faire. Nul besoin d'horloge, la grande H sonne le tocsin toutes les 45mn.
Suants, vannés, moulus, le bus nous pose au milieu de nulle part à la tombée de la nuit.




1 commentaire:

jacques a dit…

Super voyage par blog interposé

muchas gacias